Open blog : Deux mamans
Nous avons le même prénom et avons grandi dans la même ville. Nous avons rencontré les mêmes personnes et nos dossiers s’étaient envolés ensemble dans le même pays. Depuis longtemps, nous attendions ensemble, sans nous connaître, le « même » enfant. C’est chez eux que le téléphone a sonné en premier : un petit garçon. Ils avaient imaginé un plus petit et c’était finalement un grand, à la limite de leur limite, qui les attendait là-bas. Quelques jours plus tard, le téléphone sonnait chez nous : un petit garçon. Nous nous étions préparés à un grand, à la limite de notre limite, et c’est un petit qui nous attendait là-bas.Nous avons pris le même avion pour aller vers nos fils. Nous avons partagé nos histoires, nos angoisses et nos doutes. Avec une telle aventure vécue ensemble, la complicité et l’amitié se sont installés très rapidement. J’entends encore nos rires dans l’hôtel. Je revois nos efforts pour être les plus belles des mamans malgré les heures d’avion. Le moment est enfin arrivé.
Notre petit prince n’était pas facile : quitter une dizaine de copains pour seulement un papa et une maman, le compte n’y était pas mais petit à petit, les sourires sont venus, les premiers mamans et avec eux les premiers câlins. Pour eux, la rencontre avec un petit garçon perdu dans un autre monde, fuyant les regards, impossible à approcher ne fut sans doute pas aussi idyllique qu'ils l'auraient souhaité. Un tel chemin à parcourir, partir de si loin. Lui apprendre à parler après tant d’années à se taire. A regarder après tant de temps à baisser les yeux. A respirer car il avait le droit de le faire. A courir, car oui, il pouvait bouger, à manger sans avoir peur de manquer, à ne plus craindre les coups et le mépris. Aurais-je été à la hauteur ? Quelle mère aurais-je été pour ce petit garçon tellement abimé? Aurais-je supporté l’absence de regard, de contact et de sourire ? L’infinie tendresse que j’ai pour lui se serait-elle transformée en amour inconditionnel ? Aurais-je pu attendre d’être dans mon lit pour pleurer, comme elle le fait, quand il lui raconte son avant et qu’elle voit les marques sur son corps ? Les jours de colère, aurai-je pu me retenir de sauter dans un avion pour retrouver ceux qui ont fait cela à mon fils et les faire payer ? Les jours d’amertume, où les petits pas d’avancée cèdent la place à un gros retour en arrière, aurai-je murmuré "pourquoi nous ? » Et elle ? Quand elle voit mon fils, son sourire et sa joie de vivre, petit lutin espiègle et sautillant, se pose-t-elle les mêmes questions ? Pense t-elle qu’il aurait été tellement agréable d’être au parc, au soleil près des toboggans, alors qu’elle passe tellement de temps dans des salles d’attente. Qu’être enlacés dans le canapé à lire des histoires serait si bon alors qu’elle est coincée en réunion avec des instits obtus qui vénèrent Cyrulnik tant que ce n’est pas à eux qu’on demande d’être des tuteurs de résilience. Rêve t'elle d’entendre les compliments si gratifiants des autres mamans sur son charme et sa malice à la place des remarques acides de celles qui ne connaissent l’adoption qu’à travers des émissions télé, où tout se passe merveilleusement bien. Qu'il serait si doux de se reposer, enfin, et d’imaginer un avenir pour lui sans s’obliger à ne penser qu’au jour le jour.
Je ne sais pas. Ensemble, nous parlons de tout mais pas de cela. Ce que je sais, c’est qu’elle, elle a trouvé la clé. La clé de son monde. Une feuille, un pinceau, des feutres, des couleurs et il est là, pleinement, avec elle. Un bout de carton, deux ficelles, un tube de colle et un énorme sourire s’affiche sur son visage. Jour après jour, de dessins en bricolages, elle change sa vision du monde et des gens. Petit à petit, de collages en découpages, de sculptures en maquettes, il grandit, oublie un peu et s’ouvre aux autres. Ils partagent le même esprit artiste et le don de voir sur chaque page blanche la promesse d’un chef d’œuvre.
Je n’ai pas ce talent. Est-ce pour cela qu’un homme quelque part, un Dieu ou l’ange gardien prodigue de ce petit garçon, ont fait que ce soit elle qui soit sa maman et pas moi?
Hélène, pour T, le fils qui n’est pas le mien et sa maman que j’aime de tout mon cœur
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